« La demande globale en biotensioactifs est énorme. On parle aujourd’hui d’une croissance à deux chiffres. Le constat actuel est que toutes les entreprises ont envie de se positionner en matière de durabilité de leurs produits et d’un meilleur respect de l’environnement. » F. Warzée, DETIC[1]

Le 2 décembre, l’équipe du projet ValBran a organisé un webinaire afin de diffuser une partie de ses résultats de recherche après 4 années de travail sur la thématique de la valorisation du son de blé en tensio-actifs biosourcés. Cet événement a rassemblé en ligne près de 100 participants[2] belges et français.

La belle croissance des tensioactifs biosourcés

A l’échelle mondiale, on constate que les biotensioactifs entièrement biosourcés ne représentent encore qu’une très petite partie du marché des tensioactifs. Néanmoins, ce marché attire toute l’attention des industriels et commence à gagner du terrain. En témoigne l’engouement des quelques 50 entreprises inscrites à l’événement.

En Europe, la production de tensioactifs d’origine biosourcée représente environ 1.100 kt/an, tandis que celle d’origine fossile est d’environ 2.400 kt/an, soit plus du double[3].

Pourquoi un tel engouement ? Outre le fait qu’ils sont fabriqués à partir de matières premières renouvelables, les principaux avantages des tensioactifs biosourcés sont leurs propriétés :

  • Faible écotoxicité et biodégradabilité, qui en font des alternatives respectueuses de l’homme et de l’environnement dignes d’intérêt.

La directive 73/404/CE interdit la mise sur le marché de tensioactifs dont la biodégradabilité est inférieure à 90% et certaines molécules tensioactives ne répondent pas aux critères de la règlementation REACH[4].

  • Capacité à respecter la réglementation en matière de sécurité (environnementale).
  • Utilisation de matières premières à faible coût (graisses, huiles, sucres) pour les produire.
  • Grande diversité de structures, permettant de répondre de manière spécifique à une application particulière.
  • Meilleures propriétés moussantes, comparativement aux tensioactifs pétrosourcés.
  • Plus large gamme d’utilisation à des températures basses, des pH et des salinités élevés, comparativement aux tensioactifs pétrosourcés.
  • Propriétés antimicrobiennes (antifongique, antibactérienne et/ou antivirale). Bien que tous les biotensioactifs ne soient pas concernés.

Pour en savoir plus sur les activités antimicrobiennes des biotensioactifs ? www.wheatbransurfactants.eu (rapport complet, disponible fin décembre).

Etat des lieux des applications qui drivent le développement des biotensioactifs

Au niveau mondial, les biotensioactifs les plus consommés sont le sulfonate d’ester méthylique (MES) (33,3 %), les alkyl polyglycosides (25%, plus de 100.000 t/an), les esters de sorbitan et les esters de sucre (environ 6.000 t/an). Ils sont principalement utilisés dans la fabrication de détergents et de cosmétiques.

 

Il existe déjà toute une gamme de tensioactifs biosourcés (sucroesters, APG, lipo-aminoacides…). Par exemple, la région Grand-est a innové il y a une dizaine d’années avec le développement des premiers tensioactifs à base de son de blé et la mise en place de la société Wheatoleo.

Le projet ValBran, de son côté, s’est concentré sur la valorisation des polysaccharides abondants contenus dans le son de blé (cellulose et hémicelluloses) sous forme de molécules tensioactives.

Le caractère innovant du projet est lié au développement d’un procédé de biotechnologie et l’emploi d’enzymes non seulement pour fractionner les sucres mais aussi pour élaborer les tensioactifs et les fonctionnaliser. Il fait appel à toute une cascade de procédés et notamment de séparation / purification pour aboutir à de nouvelles structures originales au service d’applications telles que l’alimentation (additifs alimentaires), la détergence, la cosmétique ou encore les phytosanitaires.

« Ce projet anticipe les intérêts des industriels. En effet, sur le court-moyen terme (d’ici 5-10 ans), on s’attend à ce que les entreprises belges et françaises quittent le pétrosourcé pour s’orienter vers la biomasse, avec une préférence pour les déchets agricoles et les connexes de l’alimentation. Les industriels sont conscients que l’agriculture se concentre sur la production massive d’aliments pour satisfaire la demande mondiale. Dès lors, produire des tensioactifs à partir des déchets du food devient très intéressant. » Frédéric Warzée, extrait du rapport de clôture du projet ValBran.

Les tensioactifs non-ioniques d’origine végétale de type APG et esters de sucre

Dans le cadre du projet, des approches conjointes de biotechnologies blanches et de chimie verte ont été utilisées pour développer des voies de synthèse originales d’alkyl glycosides et d’esters de sucre, les deux familles de molécules tensioactives ciblées. Plus précisément, l’étude a porté sur les tensioactifs non-ioniques d’origine végétale de type APG (alkyl polyglycosides) et esters de sucre.

Parmi les voies de synthèse de ces molécules, il est possible de produire des biotensioactifs en greffant ensemble une partie lipophile d’origine végétale (ex. : acide gras) à une partie hydrophile d’origine végétale (ex. : sucre) par voie chimique ou enzymatique.

Comparativement aux tensioactifs d’origine fossile produits dans des conditions drastiques (température élevée, catalyseurs chimiques), la synthèse des biotensioactifs par des enzymes est réalisée dans des conditions de réaction douces (température modérée, absence de catalyseur chimique).

Schéma explicatif de l’approche intégrée pour la synthèse enzymatique d’alkyl glycosides et d’esters de sucres à partir de son de blé – par Caroline Rémond, coordinatrice du projet, Université de Reims Champagne Ardenne, INRAE, FARE, UMR 614, chaire AFERE et Richard Plantier-Royon, Institut de Chimie Moléculaire de Reims, CNRS UMR 7312, Université de Reims Champagne-Ardenne.

Pour en savoir plus sur ce schéma ? www.wheatbransurfactants.eu (rapport complet, disponible fin décembre).

La synthèse enzymatique des molécules

Les enzymes, ces molécules naturelles présentes dans tous les organismes vivants, sont des catalyseurs bien plus spécifiques que la majorité des catalyseurs chimiques . Elles limitent la production de molécules indésirables devant être éliminées en fin de réaction telles que les molécules générant une coloration indésirable. Un autre avantage, c’est qu’ elles peuvent être utilisées dans des conditions réactionnelles douces : température modérée, pH proche de la neutralité, pression atmosphérique.

Toutefois, les réactions enzymatiques présentent certains inconvénients qui peuvent impacter la viabilité économique du procédé.

  1. Les enzymes sont des catalyseurs de réaction plus onéreux que les catalyseurs chimiques.[5]
  2. Le rendement de la réaction (la quantité de sucres du son de blé qui peut être convertie en produit) doit être élevé.

Dans le cadre du projet, plusieurs approches ont été étudiées pour surmonter ces verrous technologiques. Ainsi, la synthèse enzymatique des esters de sucres a été développée en présence d’une enzyme immobilisée qui permet son utilisation durant plusieurs cycles de production des biotensioactifs. Dans le cas de la synthèse enzymatique des alkyl glycosides, une optimisation a consisté à récupérer l’alcool n’ayant pas réagi en fin de réaction pour l’utiliser lors d’une production ultérieure d’alkyl glycosides. Cette recirculation des réactifs permet de réduire les coûts opérationnels.

Cet obstacle lié aux coûts pourrait être surmonté par un soutien ciblé et une recherche financée en vue de nouvelles formulations de produits. L’avantage évident pour les entreprises est la flexibilité de la composition, pour autant qu’une certaine performance puisse être assurée.

Quel type de soutien ciblé ?

Dans une récente étude, le JRC Science Hub[6] notifie que, pour stimuler ce marché, diverses interventions politiques pourraient avoir lieu[7] :

  • Soit une intervention en matière d’incitations à l’investissement via des subventions, prêts, garanties, etc.
  • Soit une intervention visant à rendre plus chère la production des produits chimiques d’origine fossile. Par exemple, via une taxe sur le carbone.
  • Soit une intervention visant à rendre obligatoire l’utilisation de produits biosourcés dans certaines industries, renforçant ainsi leur demande.

Perspectives et continuité des recherches scientifiques

L’évaluation des propriétés des biotensioactifs issus du projet a montré leur intérêt pour diverses applications. Cet intérêt applicatif a été confirmé par des tests menés par plusieurs industriels (ARD en France, Sopura et NuScience en Belgique) dans des formulations variées.

Pour en savoir plus sur les interventions de Sopura et ARD, demandez le replay et la présentation PDF du webinaire : accessibles sur demande à info@valbran.eu

Une validation à échelle TRL[8] supérieure s’avère désormais indispensable pour s’orienter vers un développement industriel.

Les éléments marquants du projet en date du 02.12.2020 :

  • 9 partenaires qui ont collaboré durant 4 ans en zone transfrontalière Interreg.
  • 8 collaborateurs supplémentaires engagés durant le projet :
    • 4 post doctorants ;
    • 1 ingénieur ;
    • 3 techniciens.
  • 5 articles scientifiques : 3 articles publiés et 2 autres en cours de publication.
  • 27 actions de communication dans toute la zone : prise de parole lors d’événements, participation à des séances posters, organisation d’événements de grande envergure, présence dans la presse, etc.
  • Une sensibilisation proactive du projet et de ses objectifs vers les étudiants français et belges lors de cours consacrés à la bioéconomie.
  • 185 entreprises informées.
  • 4 entreprises encadrées.
  • ± 35 retombées dans la presse dont 1 reportage TV.

Le matériel à votre disposition

[1] DETIC est l’association belgo-luxembourgeoise des producteurs et des distributeurs de cosmétiques, détergents, produits d’entretien, colles et mastics, biocides et aérosols.

[2] Au total 148 personnes se sont inscrites au webinaire, majoritairement des industriels et des scientifiques de la zone France-Wallonie-Vlaanderen. Le 2 décembre, 107 personnes ont suivi le webinaire en direct.

[3] RoadToBio. Roadmap for the Chemical Industry in Europe towards a Bioeconomy. Strategy Document. 2019

[4] L’article 2 de la Directive du Conseil européen du 22 novembre 1973 (73/404/CEE) indique que : « Les Etats membres interdisent la mise sur le marché et l’emploi des détergents lorsque la biodégradabilité moyenne des tensioactifs qui y sont contenus est inférieure à 90 % pour chacune des catégories suivantes : anioniques, cationiques, non ioniques et ampholytes. L’emploi de tensioactifs dont le taux moyen de biodégradabilité est au moins égal à 90 % ne doit pas, dans des conditions normales d’emploi, porter préjudice à la santé de l’homme ou de l’animal. »

[5] Biotechnology Notes. Biosurfactants: Definition, Classification, Production and Applications. Barriers to Plant Biotechnology. 2018 Août. https://www.biotechnologynotes.com/ consulté le 11.09.2020

[6] Rattaché à la Commission européenne (service science et connaissance), le Joint Research Centre rassemble des chercheurs qui fournissent aux autorités européennes et nationales des faits et preuves scientifiques solides qui guident les politiques de l’UE.

[7] JRC Science Hub, European Commission. Insights into the European market for bio-based chemicals. 2019

[8] Echelle TRL (Technology Readiness Level) : Echelle qui correspond au niveau de maturité d’une technologie. Cette échelle comprend 9 niveaux, le niveau 9 correspondant à une technologie disponible pour les clients (système de production commercialisé). Source : Université de Reims Champagne Ardenne, 2020

Les orateurs

Un webinaire organisé par ValBiom asbl et animé par IAR – Le Pôle français de la Bioéconomie.

[Publication] Sortie d'un rapport sur la valorisation du son de blé en molécules tensioactives
Interview croisée : Jacky Vandeputte, Pôle Industries & Agro-Ressources et Frédéric Warzée, DETIC

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